
UN REPAS SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XIV
(D'après un article paru en 1847)
Si l'on veut connaître en détail de
quelle manière, sous Louis XIV, une maîtresse de maison ordonnait le
service de sa table les jours où elle avait des invités, il faut lire
les ouvrages spéciaux du temps. Parmi ceux-ci, il en est un, publié en
1655, dont le succès fut immense, écrit par Nicolas de Bonnefons, valet
de chambre du roi, et intitulé : Les délices de la
campagne, où est enseigné à préparer pour l'usage de la vie tout ce qui
croît sur terre et dans les eaux. On y découvre par exemple
l'instruction pour une table d'une dimension à peu près égale à celle
que représente la gravure reproduite ici.
« La grande mode est de mettre quatre
beaux potages dans les quatre coins, et quatre porte-assiettes entre
deux, avec quatre salières qui toucheront les bassins des potages en
dedans. Sur les porte-assiettes on mettra quatre entrées dans des
tourtières à l'italienne ; les assiettes des conviés seront creuses
aussi, afin que l'on puisse se représenter du potage, ou s'en servir à
soi-même ce que chacun désirera manger, sans prendre cuillerée à
cuillerée dans le plat, à cause du dégoût que l'on peut avoir les uns
des autres, de la cuiller qui, au sortir de la bouche, puiserait dans le
plat sans l'essuyer. » Cette recommandation est assez singulière et
prouve que, même dans les grandes maisons, en plein dix-septième siècle,
lorsque l'on prenait le repas en famille ou entre amis, tous les conviés
puisaient le potage à même la soupière ; en un mot, on mangeait encore à
la gamelle.

« Le second service, poursuit notre
auteur, sera de quatre fortes pièces dans les coins, soit
court-bouillon, la pièce de boeuf, ou du gras rôti, et, sur les
assiettes, les salades. Au troisième service, la volaille et le
gibier, rôti, sur les assiettes le petit rôti, et ainsi tout le
reste. Le milieu de la table sera laissé vide, d'autant que le
maître d'hôtel aura peine à y atteindre, à cause de sa largeur ; si
l'on veut remplir, on y pourra mettre les melons, les salades
différentes, dans un bassin, sur de petites assiettes, pour la
facilité de se les présenter, les oranges et citrons, les confitures
liquides dans de petites abaisses de massepan, aussi sur des
assiettes. » L'instruction pour les repas de cérémonie, les festins,
donne une grande idée de la profusion et de la variété des mets en
ces occasions. |
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« A une compagnie de trente personnes de
haute condition, et que l'on voudra traiter somptueusement, je suis
d'avis que l'on fasse dresser une table d'autant de couverts à la
distance l'un de l'autre l'espace d'une chaise, en mettant quatorze d'un
côté, une au bout d'en haut et une ou deux au bas ; que la table soit
large ; que la nappe traîne jusques à terre de tous côtés ; qu'il y ait
plusieurs salières à fourchon et porte-assiettes dans le milieu pour
poser des plats volants.
« - Premier service. A l'entrée de
table, on servira trente bassins dans lesquels il n'y aura que des
potages, hachis et panades ; qu'il y en ait quinze où les chairs
paraissent entières, et, aux autres quinze, les hachis sur le pain
mitonné ; qu'on les serve alternativement, mettant au haut bout d'un
côté un bon potage de santé, et, de l'autre côté, un potage à la Reine
fait de quelque hachis de perdrix ou faisan. Après, et dessous le potage
de santé ou autre hachis sur les champignons, artichauts ou autres
déguisements, et vis-à-vis une bisque. Sous l'autre hachis, un potage
garni ; sous la bisque, une jacobine, ou autre, et ainsi alternativement
jusques au bas bout, mettant toujours après un fort, un autre faible.
« - Second service. Il sera composé de
toutes sortes de ragoûts, fricassées, court-bouillons, venaisons rôties
et en pâte, pâtés en croûte feuilletée, tourtes d'entrée, jambons,
langues, andouilles, saucisses et boudins, melons et fruits d'entrées...
Le maître d'hôtel ne posera jamais un bassin chargé de grosses viandes
devant les personnes plus considérables, à cause qu'il leur boucheroit
la vue du service, et que cette personne seroit obligée de dépecer pour
présenter aux autres.
« - Troisième service. Il sera tout de
gros rôti, comme perdrix, faisans, bécasses, ramiers, dindons, poulets,
levrauts, lapins, agneaux entiers, et autres semblables ; avec oranges,
citrons, olives, et saucières dans le milieu. - Quatrième service. Ce
sera le petit rôti, comme bécassines, grives, alouettes, et fritures de
toutes sortes, etc. - Cinquième service. Saumons entiers, truites,
carpes, brochets, et pâtes de poissons, entremêlés de fricassées de
tortues avec les écailles par-dessus, et des écrevisses.
« - Sixième service. Il sera de toutes
sortes d'entremets au beurre et au lard, de toutes sortes d'oeufs, tant
au jus de gigot qu'à la poêle, et d'autres au sucre, froids et chauds ;
avec les gelées de toutes les couleurs et les blanc-mangers, en mettant
les artichauts, cardons et céleri au poivre, dans le milieu, sur les
salières. - Septième service. Il n'y faudra que des fruits, avec les
crèmes et peu de pièces de four. On servira sur les porte-assiettes les
amandes et les cerneaux pelés. - Huitième service. L'issue sera composée
de toutes sortes de confitures liquides et sèches, de massepans,
conserves et glacés, sur les assiettes, les branches de fenouil poudrées
de sucre de toutes les couleurs, armées de cure-dents, et les muscadins
ou dragées de Verdun dans les petites abaisses de sucre musqué et ambré.
« Le maître d'hôtel donnera ordre que
l'on change les assiettes au moins à chaque service, et les serviettes
de deux en deux. Pour desservir, il commencera à lever par le bas bout,
et à mesure son second lèvera les assiettes, les salières et tout ce qui
sera sur table, à la nappe près, finissant par le haut bout, où il
donnera à laver, pendant que son second jettera les assiettes.
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