Gabelle
Impôt royal prélevé sur la vente du sel du XIVe siècle à la Révolution française. Sans doute inventé par Philippe V le Long, l'impôt sur le sel fut associé par Philippe VI de Valois au monopole royal décrété par lui en 1331 puis en 1342 sur la vente de ce produit. Le principe de base était simple : le sel ne pouvait être vendu, moyennant paiement d'une taxe, que dans "les greniers royaux à sel" ; la gestion de ceux-ci était "confiée à ferme" ou "affermée" à des financiers qui achetaient au roi ce lucratif état.
François 1er tenta d'unifier le système en 1547 ; puis en 1548-1549, la révolte très violente de l'Angoumois et de la Guyenne aboutit à l'octroi pour ces provinces, d'un statut privilégié et à la confirmation du système du monopole royal (1553). Entre 1576 et 1598, les cinq "grosses fermes" furent constituées et, en 1598, la compagnie Josse obtint pour cinq ans la ferme des greniers de treize généralités —dont celle de Paris—, ce qui permit une harmonisation des tarifs. Au XVIIe siècle, les fermes de la gabelle connurent une concentration importante : en 1668, François Legendre fut ainsi adjudicataire de plusieurs grosses fermes. Par l'ordonnance de mai 1680, Colbert associa la gestion d'autres impôts indirects royaux (aides, traites) à celle des gabelles et, surtout, codifia le règlement général des gabelles. Le règlement général de 1726 définit jusqu'à 1789 l'intégration des fermes de la gabelle dans le système général des fermes.
Les revenus de la gabelle augmentèrent considérablement pendant la période moderne : elle rapporta 13 millions de livres au Trésor en 1646, 47 en 1774, soit plus que la capitation ou le vingtième et presque autant que la taille. C'était donc un revenu essentiel dans le budget de la monarchie qui attachait au contrôle du sel la plus sévère attention.
Le prélèvement et le contrôle fiscal s'opéraient à tous les stades du commerce du sel : du "fournissement" à la répression des fraudes. Ceci rendit nécessaire un personnel important d'officiers administratifs et de militaires, appelés les "gabelous", chargés de réprimer les fraudes commises par les "faux-sauniers". Par ailleurs, le poids de la gabelle était variable selon les provinces. Il y avait, d'après le règlement de 1680 puis ceux de 1685 (Languedoc), 1703 (Franche-Comté) et 1706 (Dauphiné), six secteurs différents, dont les limites varièrent légèrement au cours des XVIIe et XVIIIe siècles.
Les pays de "grande gabelle" ou le "grand party" représentaient douze provinces : Ile-de-France, Orléanais, Berry, Bourbonnais, Nivernais, Bourgogne, Champagne, Picardie, Normandie, Anjou, Touraine, Maine. Le nombre des greniers à sel, mal répartis d'ailleurs, passa de 229 en 1661 à 253 en 1785. Ces greniers étaient aussi des tribunaux jugeant les infractions au monopole. Les "chambres à sel" ne réalisaient que la vente. Enfin, à la limite des zones bénéficiant de privilèges, existaient des "greniers d'impôt" ; la gabelle devenait alors un impôt direct qu'un collecteur était chargé de répartir et de lever dans chaque paroisse. En effet, ces zones connaissaient une contrebande du sel intensive et générale.
Le grand party représentait un gros tiers du royaume, les parties les plus riches et aussi les plus lourdement assujetties à la gabelle. En effet, la taxe y était la plus lourde et les "gabellants" étaient forcés d'acheter une quantité minimale, soit un "minot" (72 litres, en principe 100 livres) pour quatorze personnes de plus de huit ans pour la seule consommation courante, le sel pour salaison étant levé par ailleurs. Les "regrattiers" (il s'agissait d'un office que le roi vendait) achetaient de grosses quantités de sel qu'ils revendaient au détail, en petites quantités, avec 20% de bénéfice : le "regrat" permettait ainsi aux plus pauvres de payer petit à petit leur gabelle, plutôt que d'acheter directement au grenier une quantité trop importante (un quart de minot) et trop onéreuse (de 40 à 60 livres par minot selon les périodes aux XVIIe et XVIIIe siècles). La consommation par habitant était estimée aux environs de 9 livres par an.
Certaines parties de la grande gabelle étaient privilégiées selon des procédures diverses, comme les villes de Paris, Dieppe, Soissons, Rethel. Le "franc-salé" était une exemption très recherchée, octroyée par concession à des communautés religieuses, ou à des hôpitaux, ou par attribution à certains officiers comme les secrétaires du roi ou les membres du conseil. À l'inverse, la Bourgogne fut soumise à des crues de la gabelle à partir de 1721.
Les pays de petite gabelle comprenaient le Lyonnais, le Beaujolais, le Mâconnais, la Bresse, le Languedoc, la Provence, le Roussillon, le Forez et trois enclaves en pays rédimé (Rodez, Millau, Montauban). Le prix du sel y était inférieur d'à peu près 50% à celui pratiqué dans les pays du grand party; la consommation, de ce fait, y était supérieure, atteignant environ 11 livres (1 livre de sel=1 kilo actuel).
Les pays de salines (Franche-Comté, Alsace et Lorraine) possédaient des gisements de sel minéral où le prix du minot variait de 10 à 26 livres tournoi et la consommation atteignait 14 livres
Les pays rédimés: le minot y coûtait 6 à 12 livres et la consommation s'élevait à 18 livres.
Les pays de quart bouillon correspondaient à peu près au Cotentin et à ses alentours. Cette zone produisait du sel marin grâce à des sauneries où l'on triait le sable imprégné d'eau de mer après l'avoir fait bouillir: un quart de la production revenait de droit au roi et le sel s'y vendait 13 livres le minot.
Les pays exempts, enfin: la Bretagne, le Hainaut, la Flandre, l'Artois, le Béarn, la Navarre. Le commerce du sel y était parfaitement libre et le prix au détail était, par exemple, de un sou la livre en Bretagne.
Les contrevenants aux règles concernant le commerce du sel étaient soumis à des peines très rudes comme six ans de galères pour contrebande récidiviste à pied et sans armes. Les juges pris dans cette contrebande étaient toujours condamnés à mort. Cette rigueur, au XVIII eme siècle, était devenue souvent plus théorique que réelle et le fouet pour les femmes n'était plus, dans le Maine, qu'un lointain souvenir. Mais la panoplie des peines, l'incohérence de la géographie, les abus des officiers et des gabelous, cristallisèrent la haine du tiers état contre la gabelle, impôt symbolique de l'Ancien Régime tel que le dénoncèrent les révolutionnaires de 1789.
SOURCE BIBLIOTHEQUE MUNICIPALE