Les luttes ouvrières à Saint-Quentin de 1871 à 1914 Eu préambule : les lois sociales appliquées eu France. Avant d'analyser les causes, le déroulement, les réussites et les échecs des luttes ouvrières à Saint‑Quentin, de 1871 à 1914, il me semble logique de rappeler, dans un cadre plus général, les principales lois sociales appliquées en France depuis la Révolution française, ne serait‑ce que pour souligner les acquis obtenus, progressivement et difficilement, de génération en génération, parmi la même classe sociale: celle du monde ouvrier trop souvent exploité au bénéfice de la même minorité de nantis. Il faut toutefois reconnaître que les patrons ne refusent pas tous le dialogue pour la bonne gestion de leur entreprise, mais la concurrence commerciale, hélas, impose des limites au détriment des conditions de travail et des salaires. Dès le 17 mars 1791, le décret d'Allarde proclame la liberté du travail et supprime les corporations jugées trop restrictives dans leur principe n'encourageant guère les améliorations matérielles des modèles et la promotion sociale du personnel. En France, le 2 mars 1791, sous le règne constitutionnel de Louis XVI, la loi d'Allarde est promulguée, ayant pour but l'abolition des maîtrises et des jurandes, c'est-à-dire toute sorte de corporation. C'est la loi d'Allarde du 2 mars 1791, premier pas vers la loi Le Chapelier. Mais cette loi crée un vide. Au printemps 1791, compagnons et apprentis en profitent pour s'organiser face à la crise économique. La Loi Le Chapelier (du nom de l'avocat breton jacobin, Isaac Le Chapelier, promulguée en France en 14 juin 1791) est une loi instaurant la liberté d'entreprendre et qui proscrit les coalitions, en particulier les corporations, mais également les rassemblements paysans et ouvriers, ainsi que le compagnonnage. Elle eut notamment pour effet d'interdire les syndicats et les grèves. Elle suit de très près le décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791, à la fois dans ses objectifs et par sa proximité historique. Le décret d'Allarde contribuera aussi à établir la liberté d'exercer une activité professionnelle en affirmant le principe suivant : "Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d'exercer telle profession, art ou métier qu'elle trouve bon Le premier conseil de prud'hommes est institué le 18 mars 1806. On peut lui reprocher sa composition uniquement patronale mais c'est un début positif, encourageant un esprit de conciliation lors des différends individuels nés du contrat de travail. Les mines de charbon sont exploitées dans la perspective d'une rentabilité maximum pour les propriétaires d'où le besoin d'une main‑d'oeuvre peu onéreuse fournie souvent par des enfants et des adolescents. Un décret du 3 janvier 1813 en limite partiellement les effets néfastes en interdisant de faire descendre, dans les mines, les enfants de moins de dix ans. Les ateliers, dans l'industrie textile par exemple, emploient de jeunes enfants, sans limites bien précises du temps de présence. Une loi du 24 mars 1841 fixe officiellement la durée du travail des enfants dans les ateliers à douze heures (pour les plus de douze ans jusqu'à seize ans) et à huit heures (pour les plus de huit ans jusqu'à douze ans). Quant à la journée du travailleur adulte, elle est fixée à dix heures à Paris et à onze heures en province, par la loi du 4 mars 1848, puis à dix heures pour tous, par la loi du 30 mars 1900.
Le 26 mars 1852, une loi autorise les Sociétés de Secours mutuel menant, dans le monde ouvrier, une action de prévoyance, de solidarité et d'entraide. Ces sociétés voient leur audience renforcée en avril 1886. Le droit de grève est reconnu le 25 mai Bien que les ouvriers craignent d'en faire usage, ne serait‑ce que par peur d'un chômage entraînant la misère familiale mais aussi de la difficulté d'une réembauche dans le même établissement ou un autre similaire ; ce qui s'explique par les rapports professionnels entre patrons et la facilité avec laquelle la réputation, vraie ou fausse, d'un ouvrier se propage d'une usine à l'autre. D'autres lois sociales, appliquées entre les deux guerres de 1870‑1871, et de 1914‑1918, ont une incidence certaine sur la vie ouvrière à Saint Quentin. La loi du 19 mai 1874 réduit la durée du travail des femmes et des enfants et crée l'Inspection du Travail. Dès 1840, avant son officialisation, des notabilités de chaque cité remplissent cette mission d'inspecteur du travail en dehors de leurs activités principales. Ils peuvent être en même temps, propriétaires, conseillers généraux, maires ou curés. Les difficultés qu'ils rencontrent sur le terrain s'expliquent aisément par l'ampleur, la complexité et la technicité de leurs interventions. Les responsables politiques sont donc amenés, à plus ou moins longue échéance, à varier le mode de recrutement des inspecteurs pour en faire, dès 1892, des fonctionnaires à part entière, uniquement préoccupés de leur mission humaine de conciliation en tant qu'autorité morale veillant au respect de la loi, dans une indépendance complète à l'égard du patronat et de la classe ouvrière. Ils défendent les jeunes ouvriers en leur évitant d'arriver à l'âge du service militaire dans un état physique déplorable causé par une usure prématurée, une infirmité à la suite d'accident, une maladie par manque d'hygiène; d'où une réglementation, à faire respecter, sur l'âge d'admission au travail, voire l'interdiction de l'emploi des enfants dans certaines activités. Les inspecteurs protègent également les femmes s'usant jusqu'alors à des travaux excédant leurs forces et nuisibles à d'éventuelles maternités. La complexité des lois, des décrets, et la responsabilité accrue de l'Inspection du Travail sont autant de raisons de ne plus confier la tâche à des «amateurs» braves, certes, pour la plupart, mais souvent dépassés par les événements et insuffisamment indépendants vis‑à‑vis des parties en cause. La loi du 21 mai 1884, date mémorable dans l'histoire de la condition ouvrière, loi Waldeck‑Rousseau, autorise le syndicat professionnel, imité de la trade-union anglaise. Les délégués syndicaux sont reconnus par l'Etat en 1899. En même temps est créé le Conseil supérieur du Travail. La plupart des syndicats adhèrent au socialisme et on les appelle «les rouges». Quelques patrons tentent de leur opposer d'autres syndicats regroupent des ouvriers dociles C'est ainsi que le syndicat de Montceau les‑Mines, en 1899, très respectueux du dirigeant de l'exploitation, a une bannière à glands jaunes ; le surnom de«jaunes» est donné, par leurs adversaires, à tous les syndicats sympathiques aux patrons. Une Fédération nationale des jaunes, fondée en 1902, ne dure pas. Les syndicats socialistes n'ont alors plus d'autres concurrents duc les Sociétés catholiques d'ouvriers. La C.F.T.C. (Confédération française des travailleurs chrétiens) ne sera créée qu'en 1919. La Convention d'Arras introduit les conventions collectives dans les mines du Nord et du Pas‑de‑Calais en 1891. C'est une heureuse idée de légaliser une réglementation contractuelle et écrite des conditions de travail conclue entre les mandataires des employeurs et les représentants d'un syndicat professionnel. II s'avère aussi que, progressivement, les lois garantissent le respect de la condition féminine en fixant lu durée du travail des ouvrières (le 2 novembre 1892), en garantissant leur emploi aux femmes en couches (le 28 décembre 1909), en instituant le repos des futures mamans (le 17 juin 1913), en interdisant aux femmes et aux enfants des travaux au-dessus de leurs forces (le 21 mars 1914). Pour tous les travailleurs s'annoncent aussi des mesures d'hygiène et de sécurité du travail (lois des 12 juin 1893 et 10 juillet 1913) ; sans oublier d'autres décisions très appréciées d'une classe sociale particulièrement défavorisée à la merci d'un capitalisme peu soucieux, en général, du respect des Droits de l'Homme. Je songe ainsi aux lois limitant la saisie des salaires (le 12 janvier 1895), réglant la marche à suivre lors des accidents du travail (le 9 avril I 898), instaurant le repos hebdomadaire (le 13 juillet 1906), instaurant le Code du Travail (le 28 décembre 1910), créant le ministère du Travail dont le premier titu laire est René Viviani (le 25 octobre 1906), officialisant les retraites ouvrières (le 5 avril 1910). Ce préambule achevé, nous sommes donc à même, après le rappel de toutes ces lois relatives au monde des travailleurs sur le plan national, de mieux comprendre, à l'échelon saint quentinois, les revendications et les manifestations ouvrières ainsi d'ailleurs que les réactions patronales. Les attitudes devant l'arbitraire, les souhaits d'améliorations sociales dans la vie professionnelle ne sont pas des exemples spécifiques à Saint-Quentin, mais à toutes les cités industrielles de France en ce temps là et les lois prescrites à Paris ne font que légaliser les droits dont prétendent bénéficier, sur le plan national, les plus malchanceux du monde du travail ; mais ces lois, que je qualifie de premiers secours, sont à revoir, à compléter, à actualiser, à rendre plus rationnelles à cette époque charnière des XIXe et XXe siècles, alors que l'industrie s'intensifie en se diversifiant.
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